"Il serait temps de mettre en lumière la différence et d’apporter un peu de tolérance": nous avons rencontré l'actrice Sara Mortensen au Festival de Télévision de Monte-Carlo

Japon, les îles Marquises, Monaco, le parcours récent de Sara Mortensen est plutôt agréable. L’actrice franco-norvégienne, héroïne depuis six saisons de la série à succès Astrid et Raphaëlle sur France 2, où elle donne la réplique à Lola Dewaere, dans la peau d’une documentaliste atteinte du spectre autistique, connaît un succès sans précédent, qui l’a amenée pendant une semaine au Japon, où la série rassemble plusieurs milliers de fans.
À Monte-Carlo, l’actrice s’est livrée sur le succès de la série, mais aussi sur ses futurs projets.
En avril, vous avez fait une petite escapade au Japon pour la série "Astrid et Raphaëlle", où l’engouement était exceptionnel, quels souvenirs en gardez-vous ?
C’est assez hallucinant. Astrid et Raphaëlle est devenue une série culte, là-bas. Ça fait des audiences de dingue. Et du coup, ça a poussé le bouchon jusqu’à nous inviter une semaine surplace. J’étais Madonna pendant une semaine. Voilà, c’est incroyable.
Comment expliquez le succès de la série au Japon?
La série aborde des thèmes très universels: l’amitié, la différence, la tolérance. Ensuite, c’est quand même très bien ficelé et écrit. Les Japonais sont quand même très friands des plans sur Paris et de la France, en général. Et Astrid fait ses courses depuis toute petite dans une épicerie japonaise. Elle connaît des mots japonais. Elle est rassurée par la culture japonaise, qui est très codifiée et très socionormée. Donc, elle, c’est quelque chose qui lui parle parce qu’il n’y a pas tellement d’imprévus. Et les gens ne se touchent pas, dans le métro, on ne se touche pas. On ne s’effleure pas. Personne ne va jamais vous bousculer. C’est presque son paradis à Astrid, et en plus son amoureux est japonais. Et en plus, comme Astrid, elle ne change jamais, jamais, jamais de look, c’est un peu un personnage de manga finalement.
Ça vous étonne, le succès international de cette série?
Je suis toujours étonnée que quelque chose fonctionne. Mais ça, c’est parce que quand je commence quelque chose, je raconte une histoire. Je ne pense pas à ce que ça va donner après. Donc du coup, quand je commence quelque chose, je ne me dis pas que ça va être un succès dingue. Mais je trouve ça magique. Je trouve que l’ampleur que ça prend est assez bouleversante. Mais à chaque fois que je termine une saison, je dépose mes petits souliers et mon petit sac à dos. Et je leur dis au revoir comme si je n’allais jamais les revoir. Je suis encore tout étonnée quand on me dit qu’il y aurait une autre saison.
Et c’est difficile, physiquement, d’incarner Astrid?
Physiquement, elle est à l’opposé de moi. Je marche les pieds en canard, car j’ai fait de la danse classique. Elle, elle marche avec le pied droit un peu en dedans. Elle dépose d’abord la pointe des pieds. Et ensuite, le talon, elle déroule le pied à l’envers. Donc, voilà. Et puis, la tête, toujours comme ça, de travers, au bout d’un moment, ça tire dans la nuque. Et puis, les doigts collés, c’est pour ça que je mets une bague après. Une grosse bague. Parce que sinon, je finis les doigts croisés. Voilà. Sinon, je vais bien. Ça va, vous? (rires).
"J’ai trouvé ça d’une mignonnerie absolue, le rapport, l’amitié entre Astrid et Raphaëlle. Je comprends que les gens fondent."
Vous mesuriez toute cette préparation avant de vous lancer dans le rôle?
C’est moi qui ai fabriqué cette petite jeune femme. Après, je ne mesurais pas que ça allait durer aussi longtemps. Voilà, moi, je suis allée all-in pour 21 jours de tournage. Et puis, on s’est dit, on ne la reverra plus jamais. Je me suis dit, autant tout faire un maximum. Quand on était au Japon, je me suis retrouvée dans un fan meeting, dans un cinéma, avec un écran géant. Et là, on est obligés de regarder, car j’ai du mal à me regarder. Et ils ont diffusé les séquences préférées des Japonais. Et donc là, j’étais obligée de regarder, puisque j’étais devant. Et j’ai trouvé ça d’une mignonnerie absolue, le rapport, l’amitié entre Astrid et Raphaëlle. Je comprends que les gens fondent. Donc je n’avais pas pris ce recul encore et l’ampleur de ça. Mais je visualise où ça touche les gens, en fait.
Avez-vous des retours de personnes autistes?
Plein. Encore, ce matin, une jeune femme qui m’écrit. Je me reconnais tellement dans cette série, dans vos gestes, dans votre voix, dans vos réactions. Ça m’a aidée à gérer mes crises, à pouvoir les anticiper. J’ai aussi des gens qui sont diagnostiqués grâce à ça. Parce que Raphaëlle, c’est donc mon dé à coudre. Mais je suis la boussole de Raphaëlle. C’est-à-dire que je suis son guide. Et donc du coup, merci de montrer que nous aussi, on est utiles et que nous aussi, on fait des boussoles.
"Aspergirl", "Un petit truc en plus", "Handi gang", "Toulouse-Lautrec"... on a l’impression que les fictions parlent de plus en plus de la différence pour la démocratiser ou informer les gens.
C’est surtout qu’il serait temps de la mettre en lumière, quelle que soit la différence. On est quand même dans un monde qui galère avec les différences de genre. Nous, on est quand même des femmes. Je ne vais pas revendiquer un truc mais on a quand même mis au monde 100 % des humains sur cette Terre. Et on nous traite encore comme une espèce de sous-minorité à contrôler. Je pense que le monde a un problème avec la différence. Les religions, ça pose un problème. Les couleurs, ça pose un problème. Et le handicap, ça pose un problème. Tout pose un problème, en fait. Donc oui, il serait temps de mettre en lumière la différence et surtout d’apporter un peu de tolérance. Est-ce utopique? Oui. Mais on a tant envie d’y croire. Oui.
La série s’est transportée chez "Alexandra Ehle" avec Julie Depardieu et Bernard Yerles, comment l’avez-vous vécu?
Alors, moi, j’ai très mal vécu en tant qu’Astrid, parce que sortir Astrid de son monde, de son endroit, de ses repères, pour moi, ça a été ultra-difficile (rires). C’était super. Mais moi, Astrid, ce n’est pas un personnage qu’on prend et qu’on met ailleurs, en fait. C’est bien plus compliqué que ça. Et puis, évidemment, scénaristiquement parlant, on a mélangé deux genres. Astrid est drôle, mais malgré elle, par rapport à son décalage de réaction dans des situations, Alexandre Ehle, on n’est plus sûr de la comédie assumée. Donc, il a fallu trouver un entre-deux. Mais après, c’était très chouette. Et si on fait le match retour, ils viennent chez nous.
Du coup, amener Astrid au Japon, pour avoir une logique scénaristique, quand on sait ce qu’elle représente là-bas, c’est à la fois possible, mais très compliqué...
C’est le paradis autistique d’Astrid. Donc, je pense que c’est beaucoup moins compliqué de l’amener au Japon que de l’amener à Bordeaux, chez une médecin légiste farfelue.
Mais ça pourrait être un arc narratif, de partir au Japon?
C’est notre rêve. C’est leur rêve à eux, aussi. Il y a une vraie demande, en plus. Après, on est tous adultes, on sait tous comment ce métier fonctionne. C’est de la co-prod, c’est de la coécriture, c’est du financement, c’est tout ça. Après, est-ce que ça va se faire ou pas ? Moi, je ne crois que ce que je vois, que ce qui arrive. Mais alors, si ça se fait, je suis au paradis. Parce que là, on serait quand même sur une envolée internationale d’une série. Sur un niveau rarement égalé. Un épisode pilote qui part de 21 jours de tournage et qui se termine sur une co-prod au Japon. Là, moi, je meurs d’amour et de bonheur. Ce serait fou.
Vous êtes chanceuse, parce qu’en dehors du Japon vous avez récemment tourné aux Marquises pour un épisode de "Meurtres à..."
J’ai fait Meurtres à Bayeux avant, alors je ne critique pas Bayeux, mais j’ai donné ma part avant (rires). Mais les îles Marquises et Tahiti, c’est l’autre bout du monde. Donc, c’est vrai que si on n’y va pas pour bosser, il faut prendre le temps d’y aller. C’était exceptionnel. Je n’ai même pas de mots pour décrire ce projet, tellement c’était fou. Les humains là-bas, les îles Marquises, c’est la nature d’abord et quelques humains autour. Et donc, on est dans un respect total. On est en osmose, en fait, avec tout ce qui respire. Il y a des chevaux sauvages partout, des chèvres, des cochons. C’est fabuleux. Et les humains là-bas, moi, j’ai pris une leçon de gentillesse et d’humilité. Quasiment toutes les personnes qui étaient sur notre tournage ne faisaient pas ce métier dans la vraie vie. Et ils étaient dans un investissement et un partage. C’était fou. J’ai mangé du poisson cru pendant cinq semaines.
On a mis les 2be3 en tête de gondole et après, on les a rangés à la cave. Sans transition aucune, sans explication aucune. Sur un laps de temps très réduit.
Il y a un autre projet aussi qui arrive, qui a été annoncé il n’y a pas longtemps par TF1, c’est "Filip", un unitaire sur Filip Nikolic des 2be3...
Nous avons choisi de raconter l’histoire sous le prisme de l’histoire d’amour entre Filip et Valérie Bourdin, qui était sa compagne. Et donc, c’est l’histoire de mettre en lumière Filip sous un autre angle qu’uniquement le chanteur des 2be3 qui avait des abdos sublimes. C’est raconter un peu l’homme et leur histoire d’amour qui a été au centre de sa vie. Et qui est une histoire d’amour absolument bouleversante, passionnée, passionnante. Je suis complètement amoureuse de ce projet. En même temps, objectivement, je crois qu’on est en train de faire un truc génial. Le tournage se passe merveilleusement bien. Mon partenaire est exceptionnel, Mikaël Mittelstadt, qui joue Filip.
Vous avez rencontré Valérie Bourdin pour préparer le rôle?
Oui. C’était bouleversant, émouvant. Moi, je sens une énorme responsabilité puisque c’est la première fois que j’incarne quelqu’un qui existe. Je ne vais pas essayer d’être Valérie. Déjà parce qu’elle est peu documentée puisqu’à l’époque on n’était pas dans la mode des vidéos permanentes et tout ça. Et qu’elle était plutôt dans l’ombre avec son homme qu’elle aimait d’amour. Il faut se souvenir de ce qu’ils ont vécu et en tant que groupe de musique, ils ont vécu un truc d’une violence sans fond, on les a traités comme des produits. On les a mis en tête de gondole et après, on les a rangés à la cave. Sans transition aucune, sans explication aucune. Sur un laps de temps très réduit. Ça met en lumière ce côté de notre métier qui peut aussi exister, qui est la différence entre l’artiste, le produit, la création, la marchandise, tout ça. Cela peut être très violent.
Var-Matin